Panorama



Europe-Maghreb face aux mutations internationales: Défis communs, approches divergentes ?

02-01-2025 12:37:46

Rapport: Synthèse et Recommandations des journées de réflexion (Troisième édition) organisées par le Conseil Tunisien des Relations Internationales (CTRI) et la Fondation Konrad Adenauer (KAS), à Tunis: 20-21 novembre 2024.

Après deux jours de présentations et d’intenses discussions, les participant(es) sont parvenus à plusieurs constats et recommandations.

En effet, les journées de réflexion organisées par le Conseil Tunisien des Relations Internationales (CTRI) et la Fondation Konrad Adenauer (KAS) ont exploré le positionnement géostratégique de la Tunisie, en mettant en lumière les relations entre l’Europe et le Maghreb face aux mutations internationales. Ces discussions se sont focalisées sur le partenariat entre la Tunisie et l’Union Européenne, ainsi que sur le processus Euro-méditerranéen initié à Barcelone en 1995, dont les objectifs initiaux (paix, sécurité, prospérité) demeurent largement non-atteints. La fragmentation politique, économique et sociale, la stagnation économique, la crise démocratique, et la problématique migratoire ont été identifiées comme étant les défis majeurs. Les intervenants ont appelé à une action urgente et coordonnée pour transformer les défis actuels en opportunités, tout en inscrivant les relations Euromaghrébines dans une dynamique plus équilibrée et bénéfique à long terme, de part et d’autre de la Méditerranée.

 

Khmaies Jhinaoui, Président du TCIR, ex. Minister of Foreign Affairs of the Republic of Tunisia

 Mr. Khmaies Jhinaoui, Président du Conseil Tunisien des Relations Internationales (CTRI), ex. Ministre des affaires étrangères de la Tunisie

 

Principaux constats :
1. Échec relatif du processus de Barcelone : Aggravation des inégalités entre les deux rives de la Méditerranée. Repli des États et tensions géopolitiques accrues, exacerbées par des conflits internationaux et des logiques guerrières.
2. Responsabilités partagées dans les échecs : Une critique du "libéralisme idéalisé" promu dans les années 1990, plaçant la démocratie et l’ouverture économique comme remèdes universels. La responsabilité européenne est jugée plus importante, compte tenu de son positionnement dominant.
3. Nécessité de nouvelles approches : Exploration de solutions créatives et pragmatiques, en tirant parti des leçons de l’histoire commune et en valorisant les secteurs économiques sous-exploités.

 

Dr. Malte Gaier, Chef du Bureau de KAS à Tunis

 Dr. Malte Gaier, Chef du Bureau de la fondation Konrad Adenauer (KAS) en Tunisie

 

Recommandations :

1. Réinvention du partenariat euro-maghrébin : Adoption de politiques migratoires intégrées et équilibrées, favorisant une approche économiquement et juridiquement durable. Dépasser le rôle de "garde-frontière" assigné aux pays Méditerranéens par l’Europe.
2. Rôle du secteur privé : Le secteur privé tunisien et européen sont identifiés comme moteur clé de coopération, ayant contribué positivement à l’essor économique (1995-2010), malgré une stagnation post-2011. Des opportunités à saisir dans des secteurs stratégiques comme l’offshoring, l’industrie automobile, les nouvelles technologies et l’agriculture (exemple de l’huile d’olive).
3. Investissement dans les ressources inexploitées : Accent sur le tourisme et le patrimoine culturel, ainsi que sur les symboles matériels et immatériels.
4. Transition énergétique : Priorité au renforcement de la coopération énergétique entre les deux rives, avec des projets concrets à court terme pour sécuriser l’approvisionnement européen.

Moncef Slimi, Président de MagDe

Moncef Slimi, Président du Deutsch - Maghrebinisches Institut für Kultur und Media, MagDe

 

Axes transversaux et espoirs :
1. Retour à une approche pragmatique et volontariste, en insistant sur le dialogue, la diversification et l'intelligence stratégique.
2. Exploration d'un "nouveau deal numérique" pour dynamiser la recherche et l’innovation, en favorisant l'accès partagé à des infrastructures numériques.
3. Espoir d'une relance économique en capitalisant sur le contexte international favorable aux investissements.


Contexte :
En 2025, le partenariat entre la Tunisie et l’Union Européenne (UE) ainsi que la coopération euroméditerranéenne dans le cadre du processus de Barcelone marqueront leurs 30 années. Cette échéance invite à un bilan critique des résultats obtenus et à une réflexion sur l’avenir de ces relations face à un contexte international marqué par des mutations profondes. Les enjeux incluent l’exacerbation des populismes, la montée de l’autocratie, les conflits régionaux (Ukraine, Gaza, Sahel) et un fossé croissant entre les priorités et le niveau de développement entre l’Europe et le Maghreb.


Contexte européen et ses impacts sur le Maghreb:
Repli européen et fragmentation politique : L’UE peine à adopter une politique étrangère commune, marquée par des priorités divergentes entre les États membres, exacerbées par la guerre en Ukraine. La montée de l’extrême droite oriente les politiques européennes vers des préoccupations centrées sur la sécurité intérieure et l’immigration, au détriment de partenariats stratégiques avec le Maghreb.
Conséquences de la guerre en Ukraine : L’attention de l’UE s’est recentrée sur son flanc Est, accompagnée d’un soutien massif à l’Ukraine (99 milliards d’euros depuis 2022) en délaissant les pays du Sud, où l’aide financière a diminué significativement. Sur le plan énergétique, l’Europe, privée du gaz russe, se tourne vers les partenaires maghrébins, notamment l’Algérie, tandis que la Tunisie et le Maroc pâtissent des fluctuations des prix mondiaux.
Un Maghreb fragmenté:
Divergences et désintégration régionale : Le Maghreb souffre de conflits internes (Libye instable, tensions Algérie-Maroc), d’une absence de coopération régionale et d’une paralysie de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Le commerce intra-maghrébin reste marginal (3% du commerce extérieur), et les divergences politiques s’accentuent avec des développements comme les Accords d’Abraham, qui divisent davantage la région.
Coût économique et social : L’échec de l’intégration régionale freine le développement des économies locales, notamment celle de la Tunisie, dont les PME auraient pu bénéficier d’un marché intégré.
L’absence d’un projet commun affaiblit également la capacité du Maghreb à jouer un rôle stratégique pour stabiliser le Sahel et répondre aux défis régionaux.
Bilan du processus de Barcelone : Le processus lancé en 1995 avait pour objectif de promouvoir la paix, la prospérité et la stabilité en Méditerranée. Cependant, plusieurs facteurs ont entravé ces ambitions:
Les conflits persistants (Palestine, Balkans, Printemps arabe) et la montée des défis sécuritaires.
L'élargissement des inégalités économiques : en 30 ans, l’écart de revenu par habitant entre les deux rives de la Méditerranée est passé de 1 à 8.
Une Europe perçue comme de plus en plus distante, concentrée sur ses propres enjeux.
Enjeux communs et perspectives : Malgré les tensions, l’Europe et le Maghreb partagent des défis communs qui nécessitent une coopération renforcée :
Changements climatiques : Les deux rives doivent unir leurs efforts pour atténuer leurs impacts.
Sécurité et migration : La stabilité du Maghreb est essentielle pour gérer les flux migratoires et sécuriser les frontières.
Énergie et innovation : Développer les énergies renouvelables et renforcer les partenariats technologiques.
Éducation et opportunités économiques : Investir dans des projets à bénéfices mutuels pour réduire les inégalités.


Conclusion :

Face à un monde en mutation, il est urgent de repenser la coopération euro-maghrébine.

Une approche fondée sur l’interdépendance et la solidarité pourrait permettre de relever ensemble les défis
économiques, climatiques et sécuritaires.

L’histoire commune et les liens géographiques doivent servir de base pour construire un avenir partagé, garantissant la stabilité et la prospérité des deux rives de la Méditerranée.

 

Ex. Ministre des affaires étrangéres de la tTunisie, Habib Benyahia avec Moncef Slimi, Président de MagDe

Habib Ben Yahia · Ex. Secrétaire général de l'Union du Maghreb arabe · Ex. Ministre tunisien des Affaires étrangères 


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